Clov (regard fixe, voix blanche)
Je me dis - quelques fois,
Clov, il faut que tu arrives à souffrir mieux que ça, si tu veux
qu'on se lasse de te punir - un jour. Je me dis - quelques fois,
Clov, il faut que tu sois là mieux que ça, si tu veux qu'on te
laisse partir - un jour. Mais je me sens trop vieux, et trop loin,
pour pouvoir former de nouvelles habitudes. Bon, ça ne finira donc
jamais, je ne partirai donc jamais. (Un temps) Puis un jour,
soudain, ça finit, ça change, je ne comprends pas, ça meurt, ou
c'est moi, je ne comprends pas, ça non plus. Je le demande aux mots
qui restent - sommeil, réveil, soir, matin. Il ne savent rien dire.
(Un temps) J'ouvre la porte du cabanon et m'en vais. Je suis si
voûté que je ne vois que mes pieds, si j'ouvre les yeux, et entre
mes jambes un peu de poussière noirâtre. Je me dis que la terre
s'est éteinte, quoique je ne l'aie jamais vue allumée. (Un temps)
Ça va tout seul. (Un temps)
Quand je tomberai je pleurerai de
bonheur.
(Samuel Beckett - Fin de partie - 1957)