et où,
jusque là, j'avais vécu sans rien
sentir.
Lorsque j'ai demandé où je me trouvais, tout le monde m'a
trompé,
chacun contredisant tous les autres.
Si j'ai demandé ce
que je devais faire, tout le monde m'a leurré,
chacun me répondant
une chose différente.
Si, ne sachant où aller, je me suis arrêté
en chemin, tout le monde s'est étonné que je ne m'engage pas sur
cette route dont nul ne savait où elle menait, ou que je ne
revienne pas en arrière – alors que, réveillé à la croisée
des chemins, j'ignorais même d'où je venais.
Je vis que je me
trouvais sur une scène et que je ne savais rien de mon rôle, alors
que les autres se mettaient à réciter le leur, sans le savoir
d'avantage.
Je vis que j'étais habillé en page, mais nul ne me
donna ma reine, ce dont je fus blâmé.
Je vis que je tenais à la
main le message qu'il fallait transmettre,
et quand je leur dis que
la feuille était blanche, ils se moquèrent de moi.
Et je ne sais
toujours pas s'ils se sont moqués de moi parce que les feuilles
sont toujours blanches, ou bien parce qu'il faut toujours deviner
les messages.
Finalement, je me suis
assis sur une pierre, à la croisée des chemins,
comme auprès du
foyer que je n'ai jamais eu.
Et j'ai commencé, une fois seul, à
faire des bateaux de papier
avec le mensonge que l'on m'avait donné.
Personne n'a voulu me croire, même comme menteur,
et je n'avais pas
de lac pour prouver ma vérité. »
(Fernando Pessoa – Le
Livre de l'Intranquillité)
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