« Je suis revenue
sur mes pas. Le vent froid de la nuit poussait le papier vers la
grille des eaux pluviales, encore un instant et il disparaîtrait au
fond. Je voulais me souvenir de la phrase que j’avais écrite et
je ne me souvenais plus de rien, pas même du mot « Afortunada ».
Chanceuse. J’avais pensé que ce qui était écrit n’était
peut-être rien et pourtant, une fois perdu, ça me semblait être
un trésor. Je me suis précipitée sur le bout de papier qui
n’arrêtait pas de courir en cahotant tout droit vers la grille,
mû par une force d’attraction, telle une balle de golf vers le
trou. Ma chance s’en allait avec lui. Chanceuse. J’ai rattrapé
le bout de papier au dernier instant, je l’ai déplié devant mes
yeux
et j’ai vu qu’il était intact :
« Afortunada, afortunada,
elle a de la chance et ne désire rien. »
Mais il n’y avait pas
que ces mots-là, non, quelqu’un avait écrit :
« Elle a un
amour et n’a pas d’amant
Elle a un logis et n’a pas de
maison
Elle a de la chance et ne désire rien. »
(Lidia
Jorge, La nuit des femmes qui chantent)
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