« - Du flan, que du flan.
Ils sont terribles, mes hommes. Des plus terribles, on n'en trouve
pas. C'est mon œuvre. C'est moi qui les ai taillés.
- Quand même, ce sont des hommes.
- De l'extérieur, seulement.[...] Si tu voyais leur âme, ah ! Tu
aurais des frissons. [...] Tu t'enfuirais même en courant. Tu
ne serais pas prêt à mourir pour des estropiés. C'est moi
personnellement, mon ami, qui les ai estropiés. Et je les ai
estropiés autant que c'était nécessaire. Les âmes des hommes,
mon ami, tiennent beaucoup à la vie. Tranchez un corps en deux,
l'homme crèvera. Mais déchirez-lui son âme, il deviendra docile,
un point c'est tout. Non, non, des âmes comme ça on en trouve
nulle part. Que dans ma ville. Des âmes manchotes, des âmes
cul-de-jatte, des âmes sourdes et muettes, des âmes à la niche,
des âmes au gibier, des âmes damnées. Tu sais pourquoi le
bourgmestre fait semblant d'être un malade mental ? Pour cacher
qu'il n'a strictement aucune âme. Des âmes percées, des âmes
vénales, des âmes de faux jetons, des âmes mortes.
Ah ! Oui,
c'est dommage qu'elles soient invisibles.
- C'est une chance pour vous.
- Comment ça ?
- Les gens auraient peur en voyant, de
leurs propres yeux, à quoi leurs âmes ont été réduites. Ils
iraient droit à la mort, au lieu de rester un peuple soumis.
Qui vous nourrirait alors?
Qui vous nourrirait alors?
- Le diable seul le sait, peut-être
que vous avez raison. […] »
(Evgueni Schwartz – Le Dragon)
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