« Alors le soleil monta avec les
pèlerins ; pourtant sa lumière ne dégageait aucune chaleur, mais
un froid tranchant comme un sabre. Et l'horreur de ces altitudes
stupéfiantes et le cauchemar de ces stupéfiants abîmes et la
terreur du silence se faisaient toujours plus intenses, et pesaient
sur le pèlerin, immobilisant ses pieds. Et tout à coup, ses forces
l'abandonnèrent et il gémit doucement comme un dormeur gémit dans
ses rêves.
- Hâtez-vous, mon fils, hâtez-vous,
s'écria le boddhisatva. Car la journée est brève et la cime est
encore très éloignée.
Mais le pèlerin poussa un cri perçant
:
- J'ai peur! J'ai inexpressiblement
peur! Et la force m'a abandonné.
- Elle vous reviendra, mon fils,
répondit le boddhisatva. Regardez au-dessous de vous, et au-dessus
et de tous les côtés et dîtes-moi ce que vous voyez!
- Je ne le puis, cria le pèlerin en
tremblant et en s'agrippant à lui. Je n'ose regarder au-dessous de
moi, car devant moi et tout autour je ne vois que des crânes
humains.
- Et pourtant, mon fils, dit le
boddhisatva en riant doucement, pourtant vous ne savez pas encore de
quoi est composée cette montagne!
Et l'autre, frissonnant, répéta :
- J'ai peur. J'ai inexpressiblement
peur, car je ne vois rien d'autre que des crânes humains.
- En effet, c'est bien une montagne de
crânes, répondit le boddhisatva. Mais sachez, mon fils, qu'ils
sont tous les vôtres... Chacun de ces crânes a été, à
une époque quelconque, le nid de vos rêves, de vos illusions, de
vos désirs. Pas un d'entre eux n'a appartenu à un autre que
vous. »
(Sur la montagne des crânes d'hommes - Fragments par Lafcadio Hearn)
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