« Un jour, alors que je
n'étais encore qu'une jouvencelle dans la pleine gloire de ma
véritable jeunesse, un garçon m'offrit une fleur de verre en gage
de son amour.
Je l'avoue, il y a bien longtemps
que j'ai oublié comment il s'appelait, bien qu'il fut un jeune homme
remarquable et raffiné. Le présent qu'il me fit était à son
image. Si, sur les mondes d'acier et de plastique où j'ai passé mes
vies, l'art ancestral des souffleurs de verre s'est perdu, l'artisan
anonyme qui façonna ma fleur s'en souvenait, lui, parfaitement.
Sa fine tige de verre, longue et
délicate, s'incurve, gracile, pour éclore en une corolle aux
impossibles détails de la taille de mon poing. Tout y est, capturé,
figé pour l'éternité dans le cristal. Les pétales longs ou fins
s'y chevauchent, explosant autour du cœur dans un lent chaos
transparent posé sur une couronne de six larges feuilles tombantes
aux veinures intactes, toutes uniques. On aurait pu croire qu'un
alchimiste qui se serait promené un jour dans un jardin avait, par
simple jeu, transmuté en verre
une fleur plus grande et plus belle
que les autres.
Il ne lui manquait que la vie.
Je l'ai conservée pendant près de
deux cents ans ; bien longtemps après que j'eus quitté ce garçon
et le monde sur lequel il me l'avait offerte. Au fil des différents
chapitres de ma vie, elle m'a toujours accompagnée. J'aimais la
conserver dans un vase de bois poli que je plaçais près d'une
fenêtre. Et dans l'éclat du soleil, les feuilles et les pétales
brillaient parfois de mille feux. Mais, il leur arrivait aussi de
filtrer la lumière et de la décomposer pour éclabousser le sol
d'arcs-en-ciel confus. Souvent, au crépuscule, lorsque le monde
s'éteignait, la fleur semblait disparaître totalement et je restais
alors assise
devant ce vase vide. Et puis, au matin, elle était de
nouveau là.
Fidèle, comme toujours. »
(George R. R. Martin – La Fleur de
Verre)
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