« La ligne de mots palpe ton
propre coeur. Elle envahit les artères, elle entre dans le coeur
avec la ruée du souffle ; elle étreint le rebord mobile d'épaisses
valvules ; elle tâte ce muscle obscur aussi fort que des chevaux,
cherchant une chose, qu'elle ignore. Une image étrange s'incruste
dans le muscle comme un ver enkysté - une pellicule de sentiment,
une chanson oubliée, une scène dans une chambre assombrie, un coin
du terrain boisé, une affreuse salle à manger, tel trottoir
exaltant ; ces fragments sont lourds de sens. La ligne de mots les
pèle, les dissèque entièrement. Les tissus mis à nu
s'enflammeront-ils ? As-tu envie d'exposer ces scènes en pleine
lumière ? Tu les localiseras peut-être avant de les laisser en
paix, ou bien tu fouilleras l'endroit sans pitié jusqu'à ce que la
plaie saigne sur ton doigt, puis tu écriras avec ce sang. Si la
blessure n'est pas mortelle, si elle ne s'aggrave pas pour faire
obstacle à autre chose, tu pourras utiliser son pouvoir pendant de
nombreuses années, jusqu'à ce que le coeur la résorbe.
La ligne de mots tâtonne à la recherche des fissures du firmament. »
(Annie Dillard - En vivant, en écrivant - 1996)
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