A quinze ans, j’étais fatigué de
vivre. Sans doute faut-il être si jeune
pour se sentir si vieux…
De quoi souffre-t-on à quinze ans?
De ça, justement: d’avoir quinze
ans. De ne plus être un enfant et pas encore
un homme. De nager au
milieu du fleuve, une rive quittée, l’autre non rejointe, buvant
la tasse, coulant, remontant, luttant contre les tourments du courant
avec
un corps nouveau qui n’a pas fait ses preuves, seul,
suffoqué.
Violents, mes quinze ans, rudes. La réalité frappe, entre, s’installe et trucide les illusions. Gamin, je pouvais me rêver mille destinées - aviateur, policier, prestidigitateur, pompier, vétérinaire, garagiste, prince d’Angleterre -, m’imaginer de nombreuses apparences - grand, fin, trapu, musclé, élégant -, me doter de talents variés - les mathématiques, la musique, la danse, la peinture, le bricolage -, m’attribuer le don des langues, la facilité pour le sport, l’art de la séduction, bref, je pouvais me déployer
dans tous les sens puisque je n’avais
pas encore de réalité.
Qu’il était beau l’univers, tant qu’il
n’était pas vrai…
Quinze ans, voilà que mon champ d’action se
rétrécissait, les possibles tombaient
comme des soldats à la
guerre, mes rêves aussi. Charnier. Massacre.
Je marchais dans un
cimetière de songes.
(Ma vie avec Mozart - Eric-Emmanuel
Schmitt)
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