vendredi 15 mai 2015

I despise common sense. I've seen the world from every possible angle. This cruel, ridiculous, beautiful world. (Lacie – Pandora Hearts)

  
« Alors le soleil monta avec les pèlerins ; pourtant sa lumière ne dégageait aucune chaleur, mais un froid tranchant comme un sabre. Et l'horreur de ces altitudes stupéfiantes et le cauchemar de ces stupéfiants abîmes et la terreur du silence se faisaient toujours plus intenses, et pesaient sur le pèlerin, immobilisant ses pieds. Et tout à coup, ses forces l'abandonnèrent et il gémit doucement comme un dormeur gémit dans ses rêves.
- Hâtez-vous, mon fils, hâtez-vous, s'écria le boddhisatva. Car la journée est brève et la cime est encore très éloignée.
Mais le pèlerin poussa un cri perçant :
- J'ai peur! J'ai inexpressiblement peur! Et la force m'a abandonné.
- Elle vous reviendra, mon fils, répondit le boddhisatva. Regardez au-dessous de vous, et au-dessus et de tous les côtés et dîtes-moi ce que vous voyez!
- Je ne le puis, cria le pèlerin en tremblant et en s'agrippant à lui. Je n'ose regarder au-dessous de moi, car devant moi et tout autour je ne vois que des crânes humains.
- Et pourtant, mon fils, dit le boddhisatva en riant doucement, pourtant vous ne savez pas encore de quoi est composée cette montagne!
Et l'autre, frissonnant, répéta :
- J'ai peur. J'ai inexpressiblement peur, car je ne vois rien d'autre que des crânes humains.
- En effet, c'est bien une montagne de crânes, répondit le boddhisatva. Mais sachez, mon fils, qu'ils sont tous les vôtres... Chacun de ces crânes a été, à une époque quelconque, le nid de vos rêves, de vos illusions, de vos désirs. Pas un d'entre eux n'a appartenu à un autre que vous. »
 
(Sur la montagne des crânes d'hommes - Fragments par Lafcadio Hearn)