mercredi 29 mars 2017

Ce château ne vit plus, il dort. Ce château dort debout et nous sommes ses rêves. (Cocteau – Les Chevaliers de la Table Ronde)

 
- Dis-moi, comment est-ce, en ce monde inconnu?
Les morts vont-ils, errant main dans la main?
Est-on agrippé en chemin par des spectres aux doigts exsangues?
Ou bien vit-on dans un frisson de joie?
L'air est-il plein du souffle d'esprits tournoyants, ou du parfum des asphodèles?
Y a-t-il, ça et là, des étangs pour ouvrir à nos regards las, le miroir d'un calme éternel?
Et de grands anges blancs, sans ailes et sans mémoire, marchent-ils en silence le long des berges bleues où se penchent les lys?

- … Il n'y a que le froid... et l'horreur d'être vierge...

(Chroniques de la Terre Fixe, Le monde d'Arkadi – Les yeux d'Or-Fé – Caza)

dimanche 26 mars 2017

Tandis que je parle, la nuit humide a touché les bornes qui se dressent sur le rivage de l'Hespérie, nous ne sommes pas libres de tarder davantage; on nous appelle; les ténèbres se sont dissipés et l'Aurore luit. (Ovide)


" Celui qui ment souvent et veut qu'on le croie,
avec des gens privés de sens se louera lui-même,
car il dépense le vent des paroles à la place d'autre richesse,
alors, celui à qui il a fait des promesses ne recevra rien :
un accord ou un refus, pour lui, c'est du pareil au même!
ceux qui accepteront semblable marchandise
de tromperie peuvent savoir ceci :
trop crédules, ils n'auront rien au soir de leur vie." 

(Peire Cardenal)

dimanche 19 mars 2017

Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair obscur surgissent les monstres. (Antonio Gramsci)


je suis né d’une erreur du vent et de la mer
c’est pourquoi j’ai vécu au rythme des marées
entre les hommes et Dieu je n’ai pas pu choisir
poisson-lune égaré sur un trottoir vitreux

je n’ai fait que passer sans pouvoir respirer
un enfant replié s’est pris dans ma mémoire
qui m’empêche d’atteindre au pays d’où je viens
quand trouverai-je enfin de quoi crever mes yeux
sur le plancher glissant d’une barque fantôme

si je viens à mourir qu’on me jette à la mer
dans l’aube bleue des sables je trouverai ma route
j’arriverai enfin à cette grande fête
où mon corps fait surface à l’intérieur du sel

(Tristan Cabral)


jeudi 16 mars 2017

On ne réfléchit que parce qu'on se dérobe à l'acte. Penser, c'est être en retrait. (Cioran)

 
« Il était un homme, une fois, qui n’ayant plus faim, plus jamais faim, tant il avait dévoré d’héritages, englouti d’aliments, appauvri son prochain, trouva sa table vide, son lit désert, sa femme grosse, et la terre mauvaise dans le champ de son cœur.
N’ayant pas de tombeau et se voulant en vie, n’ayant rien à donner et moins à recevoir, les objets le fuyant, les bêtes lui mentant, il vola la famine et s’en fit une assiette qui devint son miroir et sa propre déroute. »

(René Char, Le masque funèbre)



mardi 14 mars 2017

Oui, j'ai vécu comme un garçon. Ça m'irrite de dire cela. J'aurais préféré dire : j'ai vécu comme une femme libre. (Jeanne Moreau)



Et surtout que demain n’apprenne pas où je suis -
Les bois, les bois sont pleins de baies noires -
Ta voix est comme un son de lune dans le vieux puits
Où l’écho, l’écho de juin vient boire.
Et que nul ne prononce mon nom là-bas, en rêve,
Les temps, les temps sont bien accomplis -
Comme un tout petit arbre souffrant de prime sève
Est ta blancheur en robe sans pli.
Et que les ronces se referment derrière nous,
Car j’ai peur, car j’ai peur du retour.
Les grandes fleurs blanches caressent tes doux genoux
Et l’ombre, et l’ombre est pâle d’amour.
Et ne dis pas à l’eau de la forêt qui je suis ;
Mon nom, mon nom est tellement mort.
Tes yeux ont la couleur des jeunes pluies,
Des jeunes pluies sur l’étang qui dort.
Et ne raconte rien au vent du vieux cimetière.
Il pourrait m’ordonner de le suivre.
Ta chevelure sent l’été, la lune et la terre.
Il faut vivre, vivre, rien que vivre…

(Oscar Vladislas de Lubicz Milosz)