vendredi 28 juillet 2017

I shut my eyes and all the world drops dead ; I lift my eyes and all is born again. (Sylvia Plath - Mad Girl's Love Song - 1951)


Le plus grand plaisir est de tricher, tricher, tricher, toujours tricher. Trichez donc, 
mais ne le cachez pas! Trichez pour perdre, jamais pour gagner, 
car celui qui gagne se perd lui-même.

(Francis Picabia - Jésus-Christ Rastaquouère)
 

lundi 24 juillet 2017

Il apparaît de temps en temps, sur la surface de la terre, des hommes rares, exquis, qui brillent par leur vertu et dont les qualités éminentes jettent un éclat prodigieux, semblables à ces étoiles extraordinaires dont on ignore les causes et dont on sait encore moins ce qu'elles deviennent après avoir disparu ; ils n'ont ni aïeuls ni descendants, ils composent seuls toute leur race... (La Bruyère)

    Tourne, tourne, tourne
    Moulin à eau, tourne
    Tourne et fais venir le soleil
    Tourne et fais venir le soleil
    Oiseaux, insectes, bêtes sauvages, herbes, arbres, fleurs
    Apporte-nous le printemps, l'été, l'automne, l'hiver
    Apporte-nous le printemps, l'été, l'automne, l'hiver

    Tourne, tourne, tourne Moulin à eau, tourne
    Tourne et fais venir le soleil
    Tourne et fais venir le soleil
    Oiseaux, insectes, bêtes sauvages, herbes, arbres, fleurs
    Fleurissent, donnent des fruits et tombent
    Naissent, grandissent et meurent
    Le vent souffle, la pluie tombe, le moulin à eau tourne
    Sans cesse, la vie se perpétue
    Sans cesse, la vie se perpétue

    Tourne et reviens, reviens
    Passé lointain
    Reviens et rends-moi mon cœur disparu
    Reviens et rends-moi mon cœur disparu
    Oiseaux, insectes, bêtes sauvages, herbes, arbres, fleurs
    Nourrissent la clémence des hommes
    Si j'apprends que tu m'attends
    Je reviendrai sur-le-champ

    (Le Conte de la Princesse Kaguya - Warabe uta)

*

mercredi 19 juillet 2017

Je vous dirai des choses qui vous feront rire. Je vous dirai des choses qui vous mettront mal à l'aise. Je vous dirai des choses qui vous foutront carrément la rage et d'autres que personne à part moi ne vous dira... Mais je ne vous dirai jamais de conneries. (Spider Jerusalem, Transmetropolitan)


Je ne sais pas du tout si j’ai survécu. L’intérieur de moi-même s’est refermé toujours plus, il m’est devenu, comme pour se protéger, inaccessible à moi-même ; aussi ne sais-je pas en ce moment s’il y a encore en mon centre la force de renouer et de réaliser des rapports avec le monde, ou s’il ne subsiste là dans le silence, 
que le tombeau de mon âme d’autrefois. » 

(Rainer Maria Rilke, lettre à Elisabeth Schenk, 5 janvier 1919)



vendredi 7 juillet 2017

Comme cela nous semblerait flou, inconsistant et inquiétant une tête de vivant, s'il n'y avait pas une tête de mort dedans. (Jacques Prévert - Fatras)


"Tu me demandes le poids et le grand secret des êtres et des choses. Alors écoute. Vois le chêne et sa moisson de glands, le blé et ses chapelets de grains. Le grain et le gland gardent exacte mémoire du blé et du chêne puisqu'ils donnent vie 
à d'autres blés, à d'autres chênes.

Il en est ainsi de tout vivant, de tous les hommes aussi qui mûrissant, et toute vie durant, tissent en dedans et en dehors d'eux leurs parures et leurs fruits. Ainsi se trame la GRANDE MEMOIRE, source du MOI. Puis l'homme dessèche et tombe.

La volonté d'être doit alors tendre à s'identifier avec la GRANDE MEMOIRE acquise. La Mort est vaincue. Le MOI pèlerine, dans les plaines de lumière, avec pour compagnonnage, les mille visions qu'il croit extérieures et qui en fait ne sont 
que lui-même, vues par lui-mêmes en dedans de lui-même.

Le grand sage et le grand initié gardent mémoire de toutes courses à travers le monde des presque vivants et des presque morts... Ainsi sachant ce qu'ils furent, ce qu'ils sont et ce vers quoi ils tendent, ils peuvent vivre au-delà des apparences, 
dans les seules réalités de l'ici et de l'ailleurs.

Il n'existe pas d'autres pluriels sous le secret des êtres et des choses."

(Glenmor – Les emblaves et la moisson)

dimanche 2 juillet 2017

Mon âme avant mes yeux avait su vous connaître. (Colliers de velours - Parcours d'un récit vampirisé, Anthologie - Florian Balduc)

 
Je les ai trop souvent vus tourner autour des champs de bataille avec une langue de miel, lui répondit-il. Si l'on ouvre l'oreille à leur chanson, la voilà bientôt qui change ; et tout leur amour pour l'humain se fait mépris pour ce qui touche notre pauvre corps. Va, Chien, je connais mieux qu'eux comment court mon sang et digère mon ventre. Je n'ai nulle honte de ce qu'ils nomment les bas instincts. Je mange, je pisse, je dors et je fais la culbute aux femmes, et si un dieu a été assez content de son œuvre pour l'estimer finie, je ne saurais lui faire l'insulte de haïr mon corps. A une époque, ce pays des brumes était encore libre des curés, et c'est une des raisons pour lesquelles j'aime tant mon castel. Et maintenant je les vois marcher, crâne tondu, jambes au vent, s'en aller se faire remplir la gueule de chair et de vin aux tables de leurs hôtes. Une fois qu'ils sont là, il faut la force pour les jeter dehors ; et tant qu'ils sont présents on les voit parler aux garçons et aux filles pour leur dire que ce qu'ils cachent entre leurs cuisses est grande honte, et que jouer à la jointure les uns avec les autres est œuvre de fol. J'aime ma liberté Chien, c'est au prix de ma chair que je l'ai acquise, et ce prix me semble assez lourd pour ne pas ajouter un diable par-dessus. Oui, j'aime me frotter aux ventres des femmes, j'aime me remplir la bouche de ce qui se trouve sur une table, et comme je te disais, si Dieu est là, c'est lui qui m'a fait sortir tout ainsi fait ; je n'ai de comptes à rendre à personne. Le prix de ma vie, celui que j'ai commencé à payer en tombant d'un ventre sanglant, j'en viendrai à bout au moment de mourir, comme nous tous. Je n'ai pas peur mais cet écot-ci est assez élevé 
pour qu'on ne m'en demande pas plus.

Regarde ces curés. Ils collent leurs bouches encore luisantes de graisse aux oreilles des maîtres de castel et affirment que gourmandise est preuve de faiblesse. Ils parlent de courage, eux qui n'ont jamais affronté les yeux d'un mort hors d'un tombeau. Ils parlent de punition alors qu'ils n'ont jamais reçu en pleine face la rançon de leurs bons conseils. Ils parlent d'humanité, en n'ayant jamais été frappés au ventre par le regard déçu d'une femme à qui l'on n'a pas su plaire jusqu'au bout. Ils ont des trognes que le foutre engorge, des ventres gonflés d'une nourriture qu'ils ne savent pas gagner, 
et viennent encore faire la leçon aux gens qui les logent et les supportent.

- Chercherais-tu à me dire que tu ne les aimes guère? dit Chien avec un demi-sourire.

- Amuse-toi bien, mon amie, répondit Bruec en lui tapant sur la main pour la faire rire, mais dis-toi qu'ils viendront bientôt te demander de n'être pas celle que tu es. Ils ne connaissent des femmes que leur sainte glacée, si douce qu'elle ne sait dire ni oje ni naje, et veulent apprendre aux dames que tenir leur bouche fermée est plaisir pour les hommes. Certes, je l'avoue, la langue des filles peut me rompre les oreilles, mais pas plus que celle des garçons. Et qui sont-ils pour savoir mieux que moi qui je veux baiser sur les lèvres, qui je désire renverser sur mes bancs? Sais-tu qu'ils pensent retirer les épées des mains des guerrières? Regarde-moi, Chien, et dis-moi quel serait le visage de notre histoire si les femmes avaient rechigné à tremper leurs doigts dans le sang. Les seuls épanchements écarlates qu'ils vous permettront, ce sont ceux de vos menstrues, et encore devrez-vous en avoir honte et les tenir pour sales. Le monde cache-t-il ses marées? Si tu les écoutes, tu verras qu'ils vous disent faibles, de par votre nature, et aussi fragiles qu'un œuf encore chaud. Certes, il y a des femmes, comme des hommes, qui n'ont que jus de navet dans les veines, mais l'insulte est goûteuse lorsqu'elle tombe de la bouche d'êtres qui n'ont de muscles que ce qu'il faut pour manger à s'en faire péter la panse, et de courage juste assez pour faire pleurer les petits enfants avec leurs contes de diables et de flammes. Regarde donc : Corban a eu tout un été pour venir te voir et te reprocher tes armes, et il n'en a jamais trouvé les tripes. Pourtant, il est certain que tu devrais poser ton fer et te vêtir d'une robe, comme il se doit pour une pucelle. Il te dirait d'aller t'encoucher dans un lit qui ne t'appartient pas, et d'y attendre un mari 
qui te remplirait le ventre de semence dès qu'il en aurait l'envie. […]

Chien réfléchit à tout ce qu'avait dit Bruec. Puis, dans son dos, elle entendit un bruissement de robes, et une petite voix monta de derrière la porte de Corban.

- Je pensais que vous me poussiez à la cellule pour me protéger de vous ; mais je vois que c'est ma présence qui vous fait peur, lança l'homme d'Église.

- Tais-toi, crapaud, cria le chevalier en cognant du poing sur le battant, et le lettré, surpris, poussa un petit cri de rat que l'on frappe du pied. Je ne redoute rien de toi, mais je crains ceux qui viendront à ta suite, et après eux d'autres encore. Certaines idées, comme les serpents, aiment à ramper sur le ventre et grouiller dans les coins sombres de la pensée. Il est plus facile de juger comme vous le faites que de combattre ; alors un jour viendra, je le présage, où une femme ne pourra plus toucher un fer sans passer pour folle, et où elles tireront toute fierté de leur langueur. Il leur faudra un homme pour défendre leur honneur, et la chose sera si bel et bien rivetée à la tête des gens que, comme un clou dans sa planche de bois rincée par les pluies, on ne saura l'en faire sortir 
sans se faire saillir les muscles à en avoir mal.

Je t'entends rire, caché derrière ta porte, Corban, et je t'en donne la permission, puisque je t'assure que tu auras ta vengeance. Peut-être pas toi, mais ceux à ta suite, ils verront le monde auquel tu rêves. Laisse-moi glisser mes derniers mots à une amie, 
et tu pourras me maudire tout ce que tu sais.

Chien, c'est grande douleur de voir mon monde qui s'éteint. Je veux qu'il sache que je l'ai aimé, même si je suis né au moment où lui commençait à s'endormir. Écoute aussi Corban, car si je sais mon avenir déjà fané, je vois aussi le tien et il n'est guère plus enviable ; hommes et femmes, pensées et croyances, tout est mouvance. Tes idées passeront comme les miennes s'oublient aujourd'hui. Rien n'est sûr que la fin, 
et le monde des hommes est ouragan.

(Justine Niogret – Chien du Heaume)