vendredi 11 août 2017

Ils ont tous leur voix et leur manière de gémir ou de chanter ; mais ils ne savent ce qu’ils disent, à ce que prétend cette sorcière. Elle ment : les arbres se plaignent ou se réjouissent innocemment. Elle ne peut pas les comprendre, elle qui ne pense qu’au mal ! (George Sand – Le chêne parlant)

 
« Ils déambulèrent le long des murailles du port, passèrent devant des temples et de grands bâtiments municipaux. Puis ils traversèrent un petit parc avec une fontaine, en empruntant une allée bordée de statues. De jeunes couples marchaient la main dans la main. A gauche, un orateur haranguait une petite foule. Il parlait de l'indispensable égoïsme qu'était la recherche de l'altruisme. Sieben s'arrêta 
quelques minutes pour l'écouter et repartit.

- C'était intéressant, tu ne trouves pas? demanda-t-il à son compagnon. Il suggérait qu'au bout du compte, les bonnes actions sont un acte égoïste, puisque les gens qui les accomplissent se sentent mieux après. Par conséquent, ils ne sont pas généreux 
mais n'ont agi que pour se faire plaisir.

Druss secoua la tête et lança un regard noir au poète.

- Sa mère aurait dû lui apprendre qu'on ne pète pas avec la bouche.

- Dois-je comprendre que c'est ta manière subtile de m'expliquer que tu n'es pas d'accord avec lui? rétorqua hargneusement Sieben.

- Cet homme est un idiot.

- Comment vas-tu me prouver ça?

- Je n'ai pas besoin de te le prouver. Si un homme me sert une assiette de bouse, je n'ai pas besoin d'en goûter pour savoir que ce n'est pas de la viande.

- Explique-toi, insista Sieben. Fais-moi part de cette philosophie 
de campagne tant vantée.

- Non, répondit Druss en continuant comme si de rien n'était.

- Mais pourquoi? demanda Sieben en sautillant à côté de lui.

- Je ne suis qu'un bûcheron. Je connais les arbres. Une fois j'ai travaillé dans un verger. Tu savais qu'on pouvait prendre une pousse de n'importe quelle variété d'arbre et la greffer sur un pommier? Un arbre peut avoir une vingtaine de variétés. C'est la même chose pour les poires. Mon père m'a toujours dit que c'était pareil avec les hommes et le savoir. On peut toujours en greffer mais cela doit aller de pair avec le cœur. Tu ne peux pas greffer un pommier avec un poirier. C'est une perte de temps 
et je n'aime pas perdre mon temps.

- Tu as cru que je n'avais pas compris tes propos? demanda Sieben 
avec un sourire moqueur.

- Il y a des choses que tu sais et d'autres que tu ne sais pas. Et je ne peux pas te greffer ce savoir. Dans les montagnes, j'ai vu des fermiers planter des rangées d'arbres au milieu des champs; comme ça, le vent n'emporterait pas les couches arables. Mais il faut une centaine d'années à un arbre pour faire paravent. Donc, ces fermiers travaillaient pour le futur, pour des gens qu'ils ne connaîtraient même pas. Ils l'ont fait, simplement parce que c'était la chose à faire – et pas un d'entre eux ne serait capable de débattre avec ce moulin à paroles prétentieux qu'on vient de voir. Ni avec toi. 
Mais il n'est pas nécessaire qu'ils le fassent.

- Ce moulin à paroles prétentieux est le premier ministre de Mashrapur, un politicien brillant et un poète réputé. Je suis sûr qu'il serait mortellement humilié d'apprendre qu'un jeune paysan inculte n'est pas d'accord avec sa philosophie.

- Il suffit de ne pas lui dire, répondit Druss. On n'a qu'à le laisser là, servir des assiettes de bouse à des gens qui croient dur comme fer que c'est de la viande. »

(Druss la Légende – David Gemell)


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